S’inspirer des Voyages de Gulliver de par ses divers degrés de lecture nous permet d’accéder à un propos pour tous. Le roman d’aventures parle directement aux enfants par sa forme et par l’infinité de possibles qui y sont écrits. Les différents voyages ont la richesse des contes, convoquant le merveilleux, la découverte… Pour l’adulte, ces aventures apparaissent vite comme un récit de voyage onirique, un conte philosophique, une satire.
Le spectacle possède ces divers degrés de lecture, par une recherche esthétique de l’émerveillement, jouant sur les sensations et perceptions, tout en privilégiant sinon la portée philosophique, du moins l’enseignement que tire le héros de ses voyages. Un enseignement qu’il transmet au public.
L’adaptation du roman réduit chaque voyage à l’essentiel : la découverte d’un nouveau monde, de nouveaux êtres, portant le héros dans une aventure dont il tirera un enseignement. Une aventure menant à la réflexion. Le soin que Swift a accordé au discours est remplacé ici par un travail jouant sur les sensations.
Il est facile de décrire un monde sans paroles : il suffit de créer des images. Il est moins aisé de tenir un discours, mener une réflexion sans l’usage des mots. Cette difficulté-là est au coeur du spectacle : il s’agit davantage d’inviter le spectateur à réfléchir sur ce qu’il voit, lui permettre de tirer des conclusions sur chaque action portée sur scène, plutôt que de lui imposer un point de vue sur le monde. Le regard que porte le héros sur chacune de ses rencontres, parce qu’il est silencieux, est alors transmis au public. Si le héros s’adresse au public et lui raconte ses péripéties, il sera un interlocuteur ; en revanche, s’il est donné au public de percevoir, entendre, voir, sentir ce que le héros ressent, le spectateur pourra davantage faire son propre voyage, et en tirer ses réflexions.
Le spectacle présente un acteur seul sur scène : le héros, dans son entière solitude, confronté au merveilleux. C’est bien parce qu’il est tout seul, perdu, souvent sans moyen de défense, qu’il est aux yeux de ceux qu’il rencontre une créature unique. En regard sur un seul comédien, le spectateur est alors convoqué dans un rapport immédiat au phénomène d’identification du héros. C’est avant tout un voyage personnel, individuel, intime.
Le travail scénique contribue à mettre en lumière ce principe d’identification : ce que le comédien voit, entend, perçoit, est identique aux perceptions du public; il y a une simultanéité des sensations et des émotions du plateau à la salle. Le mouvement de l’acteur, ses réactions physiques, sont alors comme ressentis, vécus par le spectateur.